textes de catalogues et livrets d'expositions

PAVÉS DE VERRE
 
Texte pour l'édition qui a fait suite aux 3 volets de l'exposition #doucement, doucement 
aux Archives de Bordeaux

Des petites vitres
Identiques
Sur lesquelles
Des arbres
Sont dessinés
Avec justesse
Superposées
Serties de plomb
Elles deviennent forêts
N’est-ce pas magique?
Tenir du bout des doigts
Une forêt
Un bois
Faire naître le jour au loin
Jouer avec les ombres
La pénombre
La nuit au cœur du bois
Sans crainte
Paisiblement.

Sylvain Larquier, 2020


FAR AWAY
 
Texte pour les petites vidéos présentées dans le 3ème volet de l'exposition #doucement, doucement
aux Archives de Bordeaux

Je veux envoyer
Tous les ans
Aux amis
Une nouvelle carte postale
Lente de mouvement
Exprimant ma mélancolie de nos derniers regards
Entre nous
Notre dernière arrière petite musique
Je veux qu’ils sachent que cette mélancolie
Est belle
Je veux qu’ils voient
Que nous voyons
Avec générosité
Des paysages anodins
Des campagnes
Des arbres
Qui demeurent dans nos mémoires
De passagers
Je veux que l’on regarde
Jusqu’à l’ombre de cette mémoire
Au-delà de son dessin diaphane
Sur un morceau de vitre
Parcelle de nos voyages
Peut-être communs
Plus encore
Je veux que l’on prenne en main tout cela
Cette mélancolie ces paysages cette amitié ces voyages cette musique
Et en faire des pavés de verre
Et à travers leurs prismes
En faire des maisons.

Sylvain Larquier, 2018
 
 
LE CHEMIN DES DAMES

Texte du catalogue de l'exposition au Musée de Vassogne

"Paysages de la reconstruction" au Musée de Vassogne
Le Chemin des Dames, joli nom pour une de nos tueries modernes les plus réussies. Une boucherie en valant une autre, nous la perpétuons quotidiennement dans nos abattoirs en toute discrétion, en devoir de mémoire, sans doute.
Dans la transparence du verre de ces prédelles miniatures, on n’en voit rien, de cette sublime apothéose de la guerre industrielle. D’abord, tout au plus, des frottis de blanc, à peine dicibles, comme un saupoudrage de chaux vive, dont l’ombre portée fantomatique révèlera peut-être le paysage du crime. Ensuite, les mêmes lignes d’horizon se projettent d’elles-mêmes un siècle après.
Ces ombres fugaces apparaissent et disparaissent comme un souvenir ou un rêve. Elles naissent de presque rien, puis elles s’étirent comme celles d’une caverne de Platon, changeantes jusqu’à l’anamorphose, selon une projection en fuite, un chancellement, un évanouissement hors du dessin.
Mais quelle mémoire portent-elles, ces plaques? Serait-ce celle du mythe fondateur de la peinture qui, selon Pline, serait né d’une femme amoureuse qui voulait fixer pour elle l’ombre portée de son amant? Ou serait-ce celle de ces millions d’âmes mortes  dont on chercherait en vain la moindre trace ? L’une et l’autre tissent une fugue, chacune conversant avec elle-même, immuablement.
L’œil traverse quelque chose qui est sans proche ni lointain, sans corps, une énigme.
Le Chemin des dames, c’est un paysage en négatif, une radiographie qui se fout de nos histoires, qui n’a pas besoin de nous. L’avant et le maintenant, de son point de vue, c’est pareil. Du notre, il n’est que le décor d’un deuil et n’en dit que le silence. Le passé et le présent s’y dissolve dans une autre dimension.

Michel Vanpeene, 2017.


LE VOYAGE DURE


Le travail de Françoise Perronno est un abîme tranquille.
Il ne faut pas trop se pencher dessus, c'est tout.
Ses petits paysages donnent le vertige.
L'ombre portée des lignes à hautes tensions
brûlent nos promenades.
Ses cirages pâles nous étranglent avec douceur.
Le voyage dure.


Jérôme Mitonneau, 2017.



OSCILLATION

Françoise Perronno vous invite à aller quelque part.
A cheminer sous l'ombre des forces électriques.
A arpenter des sous-bois
A faire l'expérience de ces pinèdes hivernales
tandis que le coeur bat fort dans le ventre.

Ses oeuvres mettent en mouvement une oscillation comme un pendule
ou bien un mobile attaché au plafond,
un tremblement.
Une hésitation.
Une énergie qui cherche son conducteur.
Le regard?



Jérôme Mitonneau, 2017.



LA VITESSE

La vitesse
change
La fenêtre
change
Le paysage
devient horizontal
Ou flou
Seules
les grandes verticales restent
La vitesse
n'y peut rien.

Sylvain Larquier, 2016.



LE VOYAGE D'ANNSOFI

Texte pour l'installation "Le voyage d'Annsofi",
projection en boucle de dessins sur diapositives de verre à la galerie du Buisson

Françoise Perronno travaille le dessin comme un élément d'une plaque sensible: Placé ici à la lisière de la transparence et de la projection, son geste nous ramène aux origines de la photographie où l'image était émulsionnée sur du verre. Son travail, tout à la fois dessin, ombre, projection et installation, laisse respirer le vide. L'imaginaire l'emporte sur la matière et le sujet installe des relations induites avec la lumière.

Barbara Tannery, 2015.



FAIRE ŒUVRE COMMUNE

Texte pour l'expostion à la Galerie du Buisson
 
 Françoise Perronno travaille le dessin comme un élément d’une plaque sensible. Placé ici à la lisière de la transparence et de la projection son geste nous ramène aux origines de la photographie où l’image était émulsionnée sur du verre. Son travail, tout à la fois dessin, ombre, projection et installation, laisse respirer le vide. L’imaginaire l’emporte sur la matière et le sujet s’installe dans le jeu aléatoire des relations induites avec la lumière. La vitre dessinée s'apparente à celle du train, là où la rêverie s'organise dans une relation intime entre la mémoire et le mouvement. Le dessin de Françoise Perronno semble s’installer dans l'espace de la pièce en proposant des lignes de fuites ou d’horizons.A l’invitation qui lui est faite d’installer son travail à la Galerie du BUISSON, Françoise Perronno répondra par un dialogue plastique avec Romain Cattenoz :
«  De mon coté, je dessine sur des plaques de verre au crayon blanc des paysages dont l'ombre projetée révèle le dessin à la limite du visible. Surfaces translucides et réfléchissantes qui questionnent la visibilité immédiate de ce qui est dessiné. Romain, lui, travaille avec des miroirs dont il détourne le reflet, gratte le tain. Il fabrique des objets, sculptures-prothèses, qui permettent de voir dans une autre direction que celle où l’on regarde. Et quand il creuse dans le tain du miroir, il permet encore d’en franchir la surface et de voir ailleurs, au delà de l’image réfléchie. L’objet s’éclipse au profit de la projection de son reflet. Nos recherches sur l’au-delà des surfaces, les matériaux que nous travaillons, la projection de ce que nous dessinons, l’implication du lieu dans le jeu des reflets, et les questions que nous (nous) posons sur l’évidence de la vision, sont à l’origine de notre envie de faire « œuvre(s) commune(s). »  Françoise Perronno
De ce dialogue de plasticiens sont nées trois installations qui portent chacune dans leur objet la trace d’une relation puissante au monde de l’art et à ses terminologies :
FRAGILE,  Suite de la visite en face, et “Monument aux morts »
Dans FRAGILE, les inversions des lettres sculptées par Romain Cattenoz permettent au seul reflet de disposer du sens de lecture. De la forme du miroir ou du socle, émanent la quintessence des relations entre la géométrie et l’aléatoire avec lesquelles le dessin de Françoise Perronno peut s‘offrir à « l’infinitude » de notre monde. Le questionnement des anciens sur la « grille » ou « fenêtre » de représentation n’est pas loin, il s’échappe pourtant tout en livrant à notre vision la variété des justesses, rêveries et superpositions dont l’image est l’objet. De la même façon dans Suite de l’exposition en face, s’accomplit l’évocation d’un jeu subtil ente le sens et l’image en ce qu’elles entretiennent des rapports de proportions et de projections qui flirtent avec la fragilité. L’effacement semble être l’arme sensible des miroirs dont le tain est gratté pour faire place à l’image dessinée, c’est sans doute ce qui justifie le Monument aux morts à l’entrée de l’exposition. 
Dans ses autres travaux, Romain Cattenoz est plus franc. Il « découpe » l’espace, non sans humour, en une myriade de facettes qui le rend finalement encore plus accessible.

Barbara Tannery, 2014. 


VITRE

Texte du catalogue de l'exposition "Plaques de verre" à la Galerie Weiller
 
Que nous soyons passés par là
Un été
Quelque dimanche soir
Un instant
N’importe où
Il est possible
Que nous soyons passés par là
Que nous étions immobiles
A regarder par la fenêtre
En train d’apaiser les paysages
De notre point de vue inaudibles
A capter sans bruit
Des paysages
Au delà de la vitre
Que nous soyons passés par là
L’impression de la fenêtre

A travers le paysage
Une vitre
Ouverte dangereuse
Sertie
Issue de secours
Il est possible 
Que ces paysages plus que silencieux
Dessins sur plaques de verre
Aient une ombre
une ombre.

Sylvain Larquier, 2013.


PAYSAGES

Texte pour les plaques de verre

Paysage
Seulement regardées
Les ombres sont malhabiles
Les lignes viennent après
Voir
A l'intérieur de l'ombre
Ecouter
Goutte à goutte
La chute de la lumière
S'imprégner des lignes
Qui défont l'ombre
Partir dans ce contour
A l'intérieur de vie
Humer la lente déflagration
Qui sourd
Traces
Traces et lignes
J'ai.

Paysage
Les vitres cassées
L'abandon
Au bord d'une rivière
Morte
Mais qui est là
Coule froide
Vrombit sous la route
L'arbre bouge
Les vitres cassées
Cette usine
L'abandon
La beauté de cette usine
D'électricité
Pleurs et malheurs
Dans le village
Que ça
Il ne reste
A l'abandon le village
Ce bâtiment à l'abandon
Mais la vibration de la route
Le tressaillement de l'arbre
L'ahurissement du voyageur
Qui découvre
A chaque pas
Sa joie de vivre.

Paysage
Le matin
Ce lieu
Expire
Par ses carreaux cassés
L'exhalaison passée
De ses plâtres
En décomposition
Après midi
Le bâtiment expire
A l'abandon
Par ses carreaux cassés
L'exhalaison passée
De ses plâtres
En décomposition
Le soir
Le bâtiment expire
A l'abandon
Et
La nuit
Le bâtiment fait peur.

Paysage
Il y a parfois
Des lieux gris
Inespérés
Des sites
Inachevés
Sans rédemption
des sites qui s'ossifient
Faits de droites
De secs segments statufiés
De leur vivants
Car morts
Car morts
Ils sont beaux

Paysage
Voyez vous ce pays
Est ce un pays traversé
De lignes
De droits méandres
de chemins de troupeaux
D'humains rectilignes
De saisons abruptes
C'est un pays de paysages
Couvert de cicatrices
Indemne.

Paysage
Les gens pleurent
Maintenant le gens pleurent
Maintenant qu'Il faut
Que les gens pleurent
Maintenant
Il faut que les gens pleurent
A un moment
Maintenant à un moment
Il faut que les gens pleurent
C'est écrit
A un moment
Maintenant
Il faut que les gens pleurent
Les gens pleurent
Mais les gens
ne pleurent pas
Vraiment
Ils font semblant
Ils vont vers
Où leurs pas
Les mènent
Les mènent sans allant
En se retournant
Lentement
vers leur chemin
Vers leur usine
Vers leur village
Vers le paysage d'un temps
Qu'ils n'ont jamais perdu
Jalonné de poteaux
De clôtures
De fils
Surplombé de nuages
Qui annoncent la pluie
cette pluie qui déjà mouille
Leur regard
L'admirable regard
Des gens qui rient.

Sylvain Larquier, 2005.



EPHEMERIDES

Texte pour les petits dessins à la cire sur papier
 
 
Sur un banc, parfois, j'ai l'air attentif. parfois mon regard semble se perdre dans le vague. Un regard perdu? Non. Je regarde une feuille sur une branche. As quoi penses-tu? A rien? Si, à la feuille. Ou plutôt comme la feuille. Comme le caillou. Je deviens un moment minéral. Végétal. Une simple pierre érodée et je m'enfonce. Je m'abîme dans cette concentration. Un morceau de sucre. Un coquillage minéralisé. Dans la maison, un clou de girofle. Un grain de poivre. Une gousse d'ail. Une épingle à nourrice. D'ordinaires objets d'une attention éphémère, la cuillère, l'épingle à cheveux, l'aiguille, l'écrou absorbent ici mon regard. Amassés jour après jours dans ces éphémérides où s'inscrit la rencontre quotidienne avec un objet, ces petits anonymes couchés sur le papier semblent reposer au fond d'une eau lourde, dans une masse sourde, sous une surface sans ride, ce formol silencieux des retenues qui précède le vacarme des cataractes. Densément, s'y reflètent ces moments où un fragment capte mon attention, où cette présence m'envahit, dure, épaisse, installe son silence de microbe. Sur ces feuilles, je retrouve ma flotte d'Immobiles sous l'ombre desquels rient ne bruit.

Jérôme Mitonneau, 1998.